Comme Moossye, Mod Imaginaire est atteinte d’endométriose. Elle aussi a accepté de répondre à mes questions pour mettre un petit coup de projecteur sur cette maladie méconnue et nous permettre d’apprendre plein de choses mais aussi de mieux appréhender l’endométriose et ses symptômes. (Vous pouvez aussi retrouver Mod Imaginaire sur Twitter, sur Facebook et sur son blog).
Lorsqu’on te demande d’expliquer ce qu’est l’endométriose, en quels mots le fais-tu ?
C’est une maladie chronique, invalidante qui peut prendre de très nombreuses formes. J’ai parfois l’impression qu’il y autant de types d’endométriose que de personnes atteintes.
L’endométriose se caractérise par la présence de tissus semblables à l’endomètre qui tapisse l’intérieur de l’utérus en dehors de la cavité utérine dans différentes régions du corps. Ce tissu réagit au cycle hormonal et les saignements induits vont provoqués des processus inflammatoires, adhérences, lésions, kystes et endommager les organes atteints. Les localisations peuvent être très diverses ce qui participe à la complexité de la prise en charge. Les atteintes peuvent se situer sur les ovaires, l’utérus, ligament utéro-sacré mais aussi la vessie, les intestins, rectum, le diaphragme, le péritoine (…) et dans certains cas rares : les yeux ou les poumons.
Et si tu me poses la question, un jour de grosse fatigue, je peux aussi te répondre : un truc qui pourrit les entrailles et la vie.
Quand et comment as-tu été diagnostiqué-e ?
J’ai été diagnostiquée à 33 ans grâce à un super médecin radiologue (Je pense parfois à le retrouver pour lui offrir des fleurs). Je venais pour un bilan car j’étais anémiée avec des règles très longues et douloureuses. Il n’a rien vu sur l’échographie. Ce n’était pas ma première échographie non concluante. Cela faisait des années que j’en faisais pour des raisons similaires et je ressortais toujours avec le même diagnostic : RAS. Mais il a pris le temps de me poser des questions supplémentaires et m’a envoyée direct à l’IRM sans rendez-vous et j’ai été enfin diagnostiquée. L’endométriose est difficilement détectable et les médecins radiologues doivent être des experts. Cela participe au retard de diagnostic qui est en moyenne de 7 ans.
Quels sont les symptômes à surveiller ?
Des règles invalidantes, troubles digestifs, des douleurs spécifiquement ou qui s’amplifient au moment des rapports sexuels, règles ou de l’ovulation. Il faut aussi savoir qu’il existe certaines formes totalement asymptomatiques : les femmes n’ont pas de douleur ni symptôme mais réalisent assez tard que l’endométriose a fait des dégâts sur certains de leurs organes endommageant leur état de santé ou leur fertilité.
Comment ça se manifeste chez toi au quotidien et que fais-tu pour le supporter ?
J’ai tout le temps mal au ventre. C’est toujours plus ou moins latent. Et parfois cela devient insupportable et très aigü. J’essaye de manger des aliments anti-inflammatoires (curcuma, gingembre), boire des tisanes apaisantes. Avec les douleurs, je suis toute crispée et j’ai souvent des courbatures et des tensions musculaires. J’essaye de faire du sport doux ou de la marche pour me relaxer et quand j’ai mal partout je vais chez le kiné. En fait, j’aimerais y aller tous les jours (!) mais c’est difficile à gérer avec le boulot. Je passe du temps au chaud avec ma bouillotte sur le ventre. Et quand j’ai trop mal : j’ai différents anti-douleurs allant de forts à très, très forts… Comme j’ai tout le temps mal, j’ai du apprendre à doser au mieux pour limiter les effets secondaires. J’étais devenue un peu beaucoup dépendante aux opiacées. Les effets secondaires des médocs, c’est un bonheur inégalable ! Il faut apprendre à les gérer, à aussi mesurer le bénéfice d’un traitement versus ses effets secondaires et peser le pour et le contre.
J’ai des règles très longues, hémorragiques. J’essaye en ce moment un traitement pour qu’elle soit moins longues et moins abondantes.
Je suis très fatiguée. C’est un symptôme qui a l’air anodin mais qui est compliqué à gérer au quotidien. Si je veux à peu près assurer ma semaine de boulot (c’est dur !), il faut que je me repose énormément. Des choses assez banales comme une sortie ou un repas entre amis peuvent m’épuiser. Et quand je sors ou que je voyage un peu plus, je mets des jours, voire des semaines à récupérer.
J’ai beaucoup de troubles digestifs… J’ai tout un tas de traitements symptomatiques. Mais en fait, il n’y a finalement pas grand chose qui aide. Quand ça déraille, il faut attendre que cela passe… Parfois c’est quelques jours, parfois c’est quelques semaines ! Pour l’estime de soi, être la collègue qui court très, très vite aux toilettes, c’est parfois compliqué.
Quels impacts a cette maladie sur ta vie professionnelle (ou ton parcours scolaire) ?
J’ai la chance d’avoir un emploi stable. Une journée d’arrêt ne remet pas en cause mon emploi. Mais je suis très angoissée, fatiguée, speedée. J’ai toujours peur de ne plus y arriver. J’ai eu des périodes difficiles avec des arrêts longs à répétition, plusieurs convalescences après des interventions chirurgicales. J’avais l’impression que je ne serais plus capable de re-travailler. J’ai eu un chef d’équipe très sympathique qui m’appelait à mon domicile pour me demander quand est ce que je revenais malgré l’envoi des arrêts de travail, me pressuriser et m’envoyer plein de boulot par mail… J’ai aussi eu des périodes ou j’ai dépassé mes limites pour un déplacement, un projet en particulier. La récupération est ensuite difficile. J’essaye de gérer au mieux de composer avec mon état physique. Certaines femmes doivent se reconvertir, abaisser leur temps de travail (moins de sous) ou carrément arrêter de travailler (plus de sous du tout, et parfois une dépendance vis à vis d’un proche). L’endométriose engendre une précarité et vulnérabilité des personnes atteintes. C’est mon plus gros stress vis à vis de cette maladie : ne plus réussir à être autonome.
Et sur ta vie privée (sociale, amoureuse, potentielle maternité, etc) ?
Je sais que pour certaines, la maladie a des lourdes conséquences sur leur vie privée. Mais je crois que j’ai de la chance : Niveau amitié, amour, tout baigne !
Pour la vie sociale, c’est comme pour la vie professionnelle, il faut composer avec les symptômes. Après des longues semaines de repos, je tente parfois une p’tite sortie et un voyage ou soyons fous une réunion de famille (le truc le plus épuisant que je connaisse).
Pour la maternité, je n’ai pas d’enfant. La maladie qui est la première cause d’infertilité chez la femme exacerbe, amplifie la pression faite aux femmes pour être mères. Les questions redoublent : « Et tu veux un enfant ? Et quand ? Et tu crois que tu peux en avoir ? Et ?!? ». J’ai été complètement chamboulée par tout ça mais maintenant j’ai passé le cap, c’est derrière moi.
Et sur le rapport que tu entretiens avec ton corps ?
Le corps est transformé par la maladie, les symptômes, les traitements, les opérations. C’est rapide et traumatisant. J’étais déjà hyper complexée et en guerre totale avec mon corps avant le diagnostic… Y’a encore beaucoup de boulot, des très mauvais moments mais ça va de mieux en mieux. J’essaye de travailler sur moi-même pour déconstruire les normes et des préjugés sur le corps, et l’insatisfaction qu’ils induisent par rapport à nos corps imparfaits, handicapés, malades. En fait quand j’ai commencé à comprendre que cette guerre permanente avec mon corps imparfait et malade était source d’épuisement et sans fin, dictée par des normes irréelles et un peu débiles, ça a commencé à aller mieux.
Et sur ta vie sexuelle ?
C’est intime et je ne vais pas rentrer dans les détails, mais c’est une conséquence importante de la maladie. La vie sexuelle, c’était génial… AVANT. Avant les traitements hormonaux qui massacrent tout désir sexuel, et perturbent très sérieusement la physiologie sexuelle. Depuis ma dernière intervention, j’ai aussi de fortes douleurs pendant les rapports. C’est clairement très compliqué avec cette maladie !
Comment as-tu été traité-e par le personnel médical par rapport à tout ça ?
Pendant des années, j’avais des douleurs et saignements inexpliqués. J’ai fait beaucoup d’examens qui n’étaient jamais concluants. Pendant toutes ces années, personne ne m’a jamais parlé d ‘endométriose. C’était le stress ! Un médecin m’a conseillé un jour de faire un enfant au plus vite : cela remettrait tout en place (un magnifique concentré de connerie sexiste et d’ignorance)… J’espère que cela est en train de changer et que l’on pensera plus vite à l’endométriose ! Sept ans de retard de diagnostic en moyenne, c’est trop ! Au début de ma prise en charge, j’ai surtout souffert d’un manque total d’information. J’ai découvert par hasard que la maladie récidivait après ma première intervention chirurgicale. J’ai également pris connaissance des effets secondaires induits par les injections pour la ménopause artificielle, des années après les avoir subies ! C’est assez hallucinant à quel point, j’ai commencé une démarche de soin, été opérée, etc. sans rien connaître de la maladie, ni des conséquences des traitements et interventions chirurgicales.
J’ai aussi mis du temps à réaliser que cette maladie était incurable et que le nouveau spécialiste consulté n’allait pas me « sauver » ou me « guérir ». J’ai mis du temps à trouver un spécialiste avec qui j’arrive à discuter de mes traitements, poser des questions. Mais le problème était à double sens. Dans mon comportement, j’avais complètement intériorisé une position de toute puissance des médecins : je ne discutais pas, ne posais pas de questions. Cela m’a pris du temps pour réaliser que la maladie était chronique, qu’il n’y avait pas de solution miracle. Pour obtenir la meilleure prise en charge possible, j’ai du être plus active pendant la consultation mais aussi pour trouver une prise en charge adaptée à mon cas unique. Personne n’a les mêmes atteintes et ne réagit de la même façon aux traitements. Cela se passe mieux avec les soignants depuis que j’ai cette démarche. Vu la fréquence de la maladie (1 à 2 femmes sur 10), je pense aussi qu’il faudrait développer et organiser les parcours de soins, prise en charge spécifiques à l’endométriose, combinant différentes approches pour la douleur et les autres symptômes. Par exemple, la sophrologie c’est super pour se relaxer et soulager les douleurs chroniques mais en ville c’est très cher ! Et pourquoi l’endométriose n’est pas considérée comme ALD (Affection Longue Durée) comme le diabète (même fréquence, même coût), par exemple, pour favoriser les remboursements des frais liés à la maladie ?
Et par ton entourage proche ?
Bien ! Comme je l’ai dit plus haut, je crois que j’ai beaucoup de chance ou que j’ai appris à éviter les éléments toxiques!
Aujourd’hui, maintenant qu’on commence à parler un peu plus souvent de l’endométriose, arrives-tu à faire comprendre ce qui t’arrive à ton entourage ?
Oui ! Cela fait maintenant 5 ans que j’ai été diagnostiquée. Cela n’a pas été un processus facile. Comme je l’ai dit plus haut, j’étais très mal informée sur la maladie. C’était compliqué d’en parler à mon entourage. L’endométriose touche à la sexualité, la fertilité, la douleur féminine. Les réactions sont parfois un peu débiles comme « Ta mère t’a mal faite » ou « Tu ne penses pas que tu as un problème avec ta féminité ou maternité ?», « Un blocage psychologique ? » « Tu devrais faire un enfant, ça réglera le problème !» (…)
Au départ, toutes ces micro-agressions sont vraiment pénibles à supporter et violentes au quotidien. Notre souffrance n’est pas reconnue. Et on se prend tout un tas de préjugés liés au genre dans le museau de la part de l’entourage mais aussi encore trop souvent des soignants. Je me suis beaucoup informée, l’échange avec d’autres malades m’a aussi beaucoup aidé. Je n’étais plus isolée, plus seule à penser, ressentir cela. Et aujourd’hui j’arrive à mieux communiquer sur la maladie, informer mon entourage, répondre aux questions si les gens s’intéressent et éviter les autres…
As-tu grandi en pensant longtemps que tes douleurs étaient normales et inhérentes à ton sexe et tes règles ?
Oui ! « C’est normal d’avoir mal pendant ses règles !» ; « Faut souffrir pour être une femme. » Arrêtez de dire cela à vos filles, s’il vous plaît, arrêtez ! Entre 20 et 30 ans, je pensais aussi que j’étais dépressive, que c’était psychologique, le stress. Je n’étais pas bien dans mes baskets et peu sûre de moi. Cela a été difficile de me construire en pensant que tout cela était normal, que c’était mon ressenti qui devait être anormal…
Qu’est-ce qui t’a fait réaliser que ce n’était pas le cas ?
Le diagnostic et la lente prise de conscience et déconstruction de ces préjugés, des normes. Je ne suis pas sûre d’être arrivée au bout. En un sens, ma démarche pour m’informer sur la maladie a aussi participé à mon réveil quant à tous ces préjugés internalisés sur les femmes, le sexe « faible » etc…
Peut-on vraiment guérir de l’endométriose ?
Non. C’est une maladie incurable. Les causes en sont encore peu comprises. Il faudrait plus de recherche. J’espère que la médiatisation récente va permettre de changer l’opinion publique sur la maladie et engendrer plus de financement de projets de recherche sur l’endométriose.
Quels sont les recours possibles pour pallier les douleurs et le handicap qu’elles génèrent (médicaments, traitements divers, médecines alternatives…) ?
Je ne suis pas compétente pour faire une liste exhaustive de tous les traitements hormonaux ou non, méthodes et interventions chirurgicales possibles. Vous pouvez trouver beaucoup d’information sur ce site. D’après mon expérience, chaque prise en charge est unique selon la personne, ses atteintes, sa physiologie. Je n’ai pas envie de parler d’un traitement ou prise en charge particulière qui conviendra à une personne atteinte et pas forcément l’autre. Cette prise en charge est à construire pour chaque patiente avec les soignants. C’est du boulot ! Du temps ! De l’argent ! J’aimerais passer mon temps chez le sophrologue, le kiné pour me soulager, me relaxer mais franchement, je n’ai pas forcément l’argent ni le temps. Je fais au mieux !
Penses-tu qu’on devrait automatiquement procéder au dépistage chez toutes les personnes réglées qui se plaignent de douleurs aigues ?
Oui ! J’espère que la médiatisation récente et l’information va permettre cela : des diagnostics plus précoces et une prévention auprès des établissements scolaires et soignants ! Le dépistage est encore compliqué car il n’y a pas de test de dépistage ou diagnostic facile ou standard. Il faut écouter, questionner. La radiologie peut permettre un diagnostic mais doit être pratiquée par un expert. Au vu de la fréquence de la maladie, (1 à 2 femmes sur 10), encore trop peu de médecins sont formés pour le diagnostic. Le diagnostic permet aux femmes atteintes de ne plus vivre en pensant que c’est normal et la meilleure prise en charge possible pour préserver leur état de santé, et éviter que la maladie endommage les organes atteints.
Enfin, quels conseils donnerais-tu aux personnes qui en souffrent ?
Ce n’est pas trop mon truc les conseils ! Soyez suivi-e-s par les meilleurs soignants possibles. Entourez vous de personnes bienveillantes ! Echangez avec d’autres malades ou associations pour obtenir le plus d’information possible. Il n’y a pas de bon ou mauvais malade. Un jour vous allez vous sentir au bout de votre vie et un autre plus active et retrouver de l’énergie. Faites ce que vous pouvez, comme vous pouvez ! Prenez bien soin de vous !
Et à celles qui n’en souffrent pas ?
La reconnaissance de l’endométriose a beaucoup pris de retard à cause notamment des préjugés liés au genre. Soignants, profs, proches, père, mère, collègues (…) : Quand une femme a mal : Est ce que vous réagiriez de la même façon si c’était un homme ? Et sinon faites du mieux possible, écoutez, soyez bienveillants !
Quelques recommandations de documentation pour finir ?
Plusieurs associations agissent pour informer et sensibiliser à l’endométriose : elles viennent d’organiser ensemble l’endomarche (19 mars 2016) pour alerter sur l’urgence de mieux prendre en charge l’endométriose, pour la santé de millions de femmes. Tous les liens et sites de ces associations et de l’observatoire sont disponibles sur le site de la marche.
Sur le site de l’association ENDOmind, vous trouverez beaucoup d’infos sur la maladie mais aussi une liste des médecins experts ou des projets à soutenir. Sur leur page Facebook ou leur compte Twitter, vous trouverez les actions de l’association mais aussi toute l’actualité sur l’endométriose et les différentes initiatives autour de l’endométriose.
Merci, tes propos sont très justes…bonne route!
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Bonjour Jack,
J’ai longtemps souffert de TCA et j’ai un autre avis sur ton texte sur les selfies sur Terrafemina (et j’arrive pas à me connecter pour répondre sous le texte).
Un selfie c’est une façon de dire « aujourd’hui, je me séduis » et non pas je m’aime. On peut tomber dans une addiction aux selfies vu que cela apaise pendant un court temps, à la différence de l’amour. L’amour de soi, c’est autre chose. Mais c’est une façon d’avancer comme une autre. Bonne continuation et merci pour ton regard.
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